Chère Marie,

 

 

 

Je suis désolé. Je suis désolé de ne pas avoir été un bon père suffisamment présent à tes côtés. Je suis désolé de ne pas avoir été le père protecteur dont tu avais besoin. Je suis désolé de n'avoir été qu'un père absent et instable.

 

Mais tu vois, ma vie a basculé. Je ne saurais dire à quel moment précis j'ai quitté le chemin habituel des gens normaux. Mais c'est arrivé, petit à petit, et ça a empiré avec le temps. J'ai voulu chercher des réponses à mon mal-être, j'ai voulu comprendre ce qui m'arrivait. Et c'est la que j'ai trouvé les drogues.

 

Je me souviens quand j'étais adolescent, j'ai commencé par l'alcool. C'était facile à trouver, il y en avait un peu partout que ce soit dans les commerces ou dans les maisons. Nous nous regroupions entre copains et nous faisions l'expérience de celui qui s'enivrerait le plus. Et j'aimais ça. J'aimais tellement cette sensation où tout autour de moi lâchait prise. Le monde paraissait totalement différent, mes sensations étaient complètement différentes. Je percevais les choses d'une beauté tellement différente de la réalité que j'en voulais encore.

 

Puis le temps a passé, les copains ont fait des études pendant que je continuais à me perdre et à errer dans les chemins de l'inconnu. Les cours ne me réussissaient pas alors mes parents me demandèrent de travailler. Mais le travail ne me réussissait pas non plus. C'était encore plus fade que tout ce que j'avais connu dans la vie. Le monde du travail n'était fait que de contraintes et de déplaisirs. Les jours s’enchaînaient et se ressemblaient d'une manière morbide que je supportais de moins en moins. Alors, pour casser ce train-train quotidien, je n'avais trouvé comme seule solution que de sortir, danser et m’enivrer encore et encore. Je ne rentrais parfois pas de la nuit et je me retrouvais dans des états lamentables au petit matin.

 

C'est à cette période que mes parents se disputaient de plus en plus. Soit ils étaient muets et faisaient la tête, soit leurs cris finissaient d'achever le mal de crâne que je tentais de supporter. Alors, je passais tout mon temps en dehors de la maison. Je n'y rentrais que pour dormir quelques heures, me doucher et changer d'habits.

 

Cette période a été riche en rencontres mais pas forcement les meilleures. Des rencontres avec des personnes comme des rencontres avec d'autres substances. Ces nouvelles drogues avaient de nouveaux effets sur moi que j'appréciais encore plus que ceux de l'alcool. Leurs effets étaient plus rapides, étaient plus forts, étaient plus addictifs. J'avais alors l'impression de vivre une vie différente, une vie qui valait plus le coup d'être vécue que celle que je vivais. C'est absolument fascinant les perceptions que je discernais lorsque j'étais sous leur emprise.

 

Peu à peu, mon corps s'est habitué et les effets se sont petit à petit lissés. Mais j'avais ce qu'il fallait comme sensation pour vivre ma vie quotidienne. Ou plutôt devrais-je dire la supportait, la menait plus ou moins où elle devait aller. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré ta mère. Je m'en souviens encore, elle avait un si joli sourire. Avec elle, j'avais l'impression qu'au moins une femme me trouvait suffisamment intéressant pour passer du temps avec moi. Alors notre couple a fait son bout de chemin, nous nous sommes installés ensemble, avons parlé mariage, ce genre de chose. Et, puis là, je ne sais pas ce qu'il s'est passé ; c'est comme si la fade normalité était en train de me ronger de l'intérieur. Je ne supportais plus ce train de vie quotidien qui n'avait plus rien d'extraordinaire, ni d’excitant. Nous nous disputions de plus en plus, et je m’enivrais de plus en plus pour combler cette sensation de vide que je ressentais.

 

C'est dans ce contexte là que tu es arrivée. Avec le recule, je ne sais même plus si c'est un choix que nous avions fait où si tu n'étais pas prévue. Mais tu étais là. Et nous t'avons aimée, chacun à notre manière … Ta mère s'occupait de toi pendant que je prenais mes distances, déjà bien incapable de m'occuper de moi-même alors de quelqu'un d'autre … Je me sentais torturé par ce rôle de parent que je ne savais pas endosser. Mes crises devenaient de plus en plus fréquentes. J'ai encore des trous de mémoire de cette période. Ta mère ne savais plus quoi faire, elle était désespérée. Elle a essayé par tous les moyens de me faire sortir de mes vices. Au début, elle m’engueulait puis m'a ignoré, jusqu'au jour où elle a trouvé la solution. Tu connais sûrement cette histoire … Dans mon dos, elle a tout prévu pour me quitter. Quand elle s'en est allée avec toi dans les bras, les mots qu'elle a prononcé résonneront à jamais dans ma tête : « Si tu veux revoir ta fille un jour, soigne toi ! »

 

Ma première réaction n'a pas été, comme on peut le supposer, un électrochoc qui m'a fait prendre conscience de je ne sais quoi. Au contraire … Ça a été une descente aux enfers … C'était le jour où j'ai absorbé le plus de choses de ma vie. Autant en quantité qu'en variété … Aujourd'hui, je n'en suis pas fier mais je sais que c'est cette soirée qui fait que j'en suis là maintenant.

 

Je n'ai que de vagues souvenirs de cette soirée et de la courte période qui en a suivi. C'est comme si je n'avais plus rien contrôlé pendant plusieurs jours. Je me souviens m'être réveillé à l’hôpital. J'étais tellement agité, je ne sais même pas pour quelle raison, qu'on m'avait attaché à mon lit. Il me reste des flashs dans ma mémoire de moments tels que celui-ci où il se passait toujours la même chose et dont je voudrais t'épargner les détails.

 

Puis, les choses ce sont calmées. JE me suis calmé … J'ai alors passé beaucoup de temps à « me reconstruire » comme ils disent à l'hôpital psychiatrique. J'y ai fait différentes activités, j'ai vu différents professionnels. A chaque fois, je tenais le même discours : un mal-être à l'intérieur de mon corps me poussait à utiliser les drogues pour oublier, pour l’atténuer. Les médecins et infirmiers me poussaient à trouver une solution différente pour évacuer ce mal-être et mettre quelque chose de bien à la place. Et c'est ainsi que la poésie s'imposa peu à peu à moi. Je me mis alors à écrire tout ce que je pouvais ressentir, tout ce que je pensais ou avait pu penser.

 

C'est ainsi qu'au fil des années, je deviens sobre et j’alignais des pages entières de vers en tout genre. Il y avait bien sûr plus de choses sombres écrites que gaies car la noirceur de mon âme était petit-à-petit en train de reprendre le dessus. Finalement, les médecins ont été obligés de me donner des médicaments : des anti-dépresseurs, des anxiolytiques, des somnifères ; médicaments que je prenais plus ou moins régulièrement mais qui me permettait d'estomper cette sensation de mal-être sans la supprimer totalement.

 

Ma vie n'est alors pas devenu grand chose. J'ai passé mon temps jusqu'à maintenant à écrire tous ces poèmes qui me venaient en tête. J'ai parfois été aidé que ça soit dans mon appartement que dans mes papiers administratifs par des professionnels. Ta mère m'a permis de te voir de temps à autre quand j'étais au meilleur de ma forme. Mais cette nouvelle vie n'a jamais trouvé de sens à mes yeux. Je n'arrive même pas à profiter des moments de bonheur que je peux avoir, que ce soit avec toi que de revoir le sourire de ta mère.

 

Si je t'écris tout ça aujourd'hui, c'est pour t'expliquer à quelle point j'ai ressenti ma vie comme un enfer. L'arrêt de toutes les substances illicites ont fait renaître toute cette noirceur que j'avais en moi. C'est aussi pour cette raison que je n'ai jamais pu être le père dont tu as besoin, que je n'ai jamais pu être là pour toi.

 

Et j'espère aussi que tu comprendras pourquoi il m'est impossible de continuer à supporter cette souffrance. Je porte ce poids sur mes épaules depuis tellement de temps que j'en suis épuisé, à bout de force. Il faut que cela cesse car ça a déjà duré depuis beaucoup trop longtemps.

 

J'espère que tu me pardonneras de ne plus être là pour toi, pour le peu que je faisais …

 

 

 

Ton père qui n'a pas su t'aimer autrement …

 

 

 

 

PS : Je te lègue tout ce que j'ai. Malheureusement, je n'ai pas grand chose hormis cette quantité de papiers noircis comme mon âme. Tu ferais sûrement mieux de les brûler, comme un mauvais souvenir qui doit sortir de ta vie.

 

 

 

Le 8 mars 2016 à 11h56, les pompiers ont forcé la porte de l'appartement, trouvant le corps inanimé du locataire sur le bureau. Autour de lui, des centaines de papiers éparpillés et remplis de poèmes et une lettre. La conclusion des médecins : suicide par médicaments.


 

Présentation :

Le texte que vous vous apprêtez à lire est l'histoire de Dany. Ce personnage est inspiré d'un personnage éloigné d'un de mes romans. Celui-ci n'intervient pas directement dans cette histoire sur laquelle je travaille mais à une influence sur ce qui s'y passe.

 

Afin que ce texte ne soit pas trop long, ni trop complexe pour répondre à la consigne de la Roulette Russe, certains détails de l'histoire de Dany ont été modifiés ou n'ont pas été approfondis.

 

Cependant, il est possible qu'il fasse son apparition si une suite à ce roman était possible …

 


 

      Les flots cognaient contre la petite embarcation. L'air était frais en cette matinée d'automne et un léger vent faisait onduler l'eau paisible qui s'aventurait dans le port de cette ville qu'allait découvrir Dany. Il n'avait pas enlevé sa cape qui lui recouvrait la tête espérant se faire discret une fois arrivé à terre. En cet instant, il repensait à tout ce qu'il avait vécu dans sa vie qui se trouvait maintenant derrière lui.

 

      Il avait grandi dans un petit village de paysans entouré des terres et des animaux dont les villageois s'occupaient tous les jours. C'était sûrement l'époque où il s'était senti le plus heureux. Les journées se ressemblaient mais elles avaient un semblant d'utilité. Tout le travail qu'effectuait les habitants pour produire cette nourriture occupaient chaque minute d'éveil. Malgré toute la joie qu'il ressentait à cette époque, il se souvenait d'une sensation étrange de la part des autres villageois à son égard, comme s'il avait toujours été différent.  Un jour, son père lui avait expliqué. Dany devait avoir aux alentours de dix ans et ses questions concernant l'attitude des autres enfants envers lui devenait trop pressante.

     - Tu as toujours été plus doué que les autres enfants. Tu as marché plus tôt. Tu apprends vite les choses. Tu es très intelligent et certains enfants en sont jaloux. Voilà tout !

 

      Il avait alors continué à grandir dans cette ambiance familiale tout en sentant de plus en plus l’écart se creuser entre lui et les autres adolescents de son âge.

 

 

 

     Seulement deux ans plus tard, sa tranquille vie en campagne bascula. Il n'était pas sans ignorer qu'une partie de leur récolte revenait à la tribu Quatrium, une des tribus la plus proche de leur village. Mais c'était aussi la plus intransigeante. Elle avait la réputation d'extorquer les richesses de tous les villages environnants par la force. Leur dirigeant changeait régulièrement et était à chaque fois aussi barbare que le précédent. Cette tribu ne savait utiliser que la menace pour récupérer ce dont ils avaient besoin pour vivre. Et Dany n'avait pas encore idée à cette époque-là jusqu'où la violence de ces hommes pouvaient aller.

 

      Brat, leur dirigeant, n'était pas satisfait de la récolte de cette année-là. Il ordonna à ses hommes de récupérer toutes les ressources nécessaires à leurs besoins que les villageois avaient stocké. Cette scène vira au cauchemar. En effet, chaque paysan tenta de défendre le peu de vivre qu'il lui restait et les ordres du commandant furent de plus en plus violents. Au terme de cette journée, la moitié des hommes et quelques femmes avaient été tués, des jeunes femmes et des garçons triés sur le tas furent emmener en replacement du butin manquant. Dany se souviendra toujours de la vision de panique qu'il vécut et qui laissa place ensuite à celle de ces deux parents morts pour la survie de leur famille. En une fraction de seconde, le jeune garçon avait été envahi par une haine qui ne l'avait plus quitté depuis, celle de venger les siens.

 

      Aussi, il attrapa une fourche qui se trouvait sur son chemin entre lui et celui qui donnait les ordres. Lentement, il s'approcha de lui au point qu'il n'éveilla pas les soupçons des autres gardes avant d'être à deux mètres de sa cible. Là, ils se saisirent de lui et la colère du choc qu'il venait de subir le poussa à se défendre comme jamais il ne s'en serait cru capable. Lorsqu'il fut enfin maîtrisé, Brat s'adressa à lui :

     - Aurais-tu quelques mots à nous dire ?

     - Je vous tuerai !

     - Non, c'est faux, je crois plutôt que c'est moi qui vais te tuer …

 

      L'homme avait prononcé ses mots calmement comme si la vie et la mort qu'il tenait entre ses mains n'avaient plus aucun sens. Sur ses paroles, il sortit son épée et la pointa sur le cou du jeune garçon. Celui-ci n'avait pas peur. Poussé par l'adrénaline de cette journée de malheur, la rage qu'il éprouvait ne le fit pas sourciller face à cet homme puissant. Il soutenait son regard, le défiant jusqu'à la mort.

     - Commandor Brat, si je peux me permettre …

     - Quoi ?

     - Ce jeune homme s'est bien défendu contre nos gardes. C'est rare de voir un garçon de cet âge avec autant de prouesse au combat. Ce serait dommage de le tuer maintenant alors que nous pourrions le compter dans nos nouvelles recrues.

     - Tu as beaucoup de chance, petit …

 

      Il enleva son arme et l'étreinte des gardes se resserra.

 

 

 

 

      Les années passèrent. Dany était devenu un bon petit soldat qui obéissait à son tour aux ordres de tuer. Chaque jour qui passait n'avait plus aucune saveur pour lui. Il était devenu la marionnette d'un pantin qui se permet de croire qu'il a le droit de vie ou de mort sur les personnes. Il ne vivait pas mal. Chaque bon comportement de soldat était récompensé par du vin ou des femmes. Il savait que toutes ces femmes utilisées comme cadeau étaient prises dans des villages de la même manière de celles qui avaient été prises du sien. Beaucoup de ces personnes périssaient dans des circonstances diverses, toutes aussi dramatiques les unes que les autres. Quasiment tous ces camarades soldats étaient des garçons volés à d'autres villages et éduqués tout comme il l'avait été. Et ils participaient à leur tour à cette barbarie en suivant comme des moutons les injonctions. Si l'un d'entre eux avait le malheur de répondre ou de ne pas suivre un ordre, il était exécuté sur-le-champ par un de ses collègues qui lui les suivait ... Finalement, rentrer dans les rangs, suivre le mouvement devenait la seule manière pour Dany et les autres de survivre.

 

      L'adolescent qui s'était révolté face aux assassins de sa famille était devenu un homme froid et fort pour qui seule la manière de combattre était devenu sa façon de vivre. Il excellait dans ce domaine. Une fois de plus, son intelligence le différenciait des autres. C'était comme s'il avait toujours su où frapper pour faire mal au corps qui se présentait face à lui. Malgré ses origines, ses supérieurs hiérarchiques appréciaient de l'avoir à leurs côtés. Plus il se rapprochait de l'élite et plus il comprenait le fonctionnement de cette tribu devenu sienne malgré lui.

 

      Le dirigeant de Quatrium se donnait le titre qu'il voulait. Ainsi, il avait appris que le Commodor Brat avait succédé au prince Henry, réputé comme un tortionnaire trop doux par les anciens et qui n'avait régné qu'à peine une année. Il avait été tué comme beaucoup d'autres de ses prédécesseurs. En effet, la règle d'hérédité au trône était simple : le fils le plus âgé prenait la place de son père sur le trône à son décès. Étant donné que le dirigeant suprême pouvait avoir plusieurs femmes, la concurrence entre les enfants devenait rude et l'éducation militaire et violente dont ils bénéficiaient favorisait les complots et les actes criminels en tout genre. Il fallait bien sûr qu'ils ne se fassent pas prendre ou qu'ils n'échouent pas sinon la mort se retournait contre eux. L'histoire de cette tribu était donc teintée de meurtres et tentatives d'assassinat sur leurs dirigeants et leurs progénitures. Le dictateur Hulk avait été empoisonné au bout de 3 ans de règne lors de son anniversaire ; tous ceux qui travaillaient en cuisine avaient été exécutés en punition symbolique par son successeur. Beaucoup de nouveaux nés du roi Norbert étaient étrangement mort, mordu par un serpent très venimeux qui se trouvait anormalement dans les chambres. Ce genre de récit était des plus courant dans les moments de détente des soldats. Bien entendu, seul le souverain pouvait se marier plusieurs fois. Tous les autres sujets n'y avaient droit uniquement qu'en récompense de bons et loyaux services.

 

 

 

Un jour de printemps, Dany se retrouva invité à un repas dansant organisé par le Commodor Brat pour fêter une nouvelle barbarie dans un village de mineurs. En plus de toutes les richesses qu'ils avaient emportés, ils avaient tué toutes les jeunes personnes et emmené avec eux tous les enfants. Brat tenait à offrir cette soirée aux plus méritants auquel il s’apprêtait à donner une femme à marier en cadeau.

 

      Dany découvrait un lieu de la cité qu'il ne connaissait pas encore : le palais. Autant tout le reste de la cité avait une apparence lugubre et terne, empli de fortifications et de bâtiments militaires ; le palais, lui, regroupait toutes les richesses qu'ils avaient pu voler ou transformer. Il n'avait jamais vu autant de choses briller. Chaque centimètre carré était arrangé et pourvu d'une façon à montrer son pouvoir en exaltant les trophées de guerre. Même la nourriture était meilleure et plus variée que ce qu'il mangeait tous les jours. L'ambiance de fête qui régnait accentuait encore ce côté démesuré que Dany découvrait un peu plus à chaque pas.

 

      Le jeune homme était tellement surpris qu'il n'osait rien toucher en ces lieux. Il avait l'impression de ne pas être à sa place, comme si le fait d'avoir vécu toutes ces horreurs ne justifiait pas le droit de profiter un peu de la soirée.

 

      Une jeune femme vêtue d'un simple voile qui ne lui cachait qu'une partie du corps lui sourit et s'approcha de lui.

     - Bonsoir, je m'appelle Armelle. La soirée vous plaît ?

     - Heu … oui …

 

      Dany était des plus intimidé. C’était la première fois depuis longtemps qu'il parlait à une jeune femme de manière gentille, sans être obligé de se montrer brutal autant verbalement que physiquement. De plus, la jeune femme était tellement proche de lui qu'il en ressentait des frissons.

     - Venez danser !

 

      Cette femme était la plus magnifique qu'il ait jamais vue. Ses yeux d'un vert profond avaient pour effet de l’envoûter. Ses cheveux d'un blond doré semblaient briller de mille feux. Elle ne cessait de lui caresser délicatement les bras et son torse musclé, et sa peau était plus douce que tout ce qu'il avait touché jusque-là. Il se laissa entraîner dans cette spirale magique où l'homme fort qui savait se battre ne maîtrisait plus rien.

 

      Après quelques minutes qui lui paru une éternité, ils furent interrompus par Brat en personne :

     - Dany ! Je vois que tu as fait connaissance avec ma fille ! Venez un peu par là tous les deux, on va discuter.

 

      Les deux jeunes gens suivirent l'homme sans rien dire. Ils s’installèrent dans des fauteuils inoccupés dans un coin un peu éloigné du brouhaha des festivités.

     - Dany, mon brave Dany … Je me souviens quand je t'ai récupéré : tu avais un tempérament de feu et tu as bien tenu tes promesses.

 

      L'homme puissant semblait avec le temps avoir changé d'opinion sur le soldat. En effet, celui-ci s'être montré fort utile dans toutes les campagnes militaires qu'ils avaient menées. En plus d'être efficace et discipliné, il s'était montré rusé et de bons conseils, si bien que les membres de l'élite avaient une confiance aveugle en lui.

     Brat reprit avec toute l'arrogance qui le caractérisait :

     - Mais tu vois, ma fille, je ne pourrais la marier qu'à un pur-sang, tu comprends. Ton invitation à cette soirée est ma récompense. Mais en aucun cas, je t'offrirai une épouse. Il est hors de question que les autres espèces que la nôtre se reproduisent dans ma ville. Tu comprends ?

 

      Dany commençait à prendre la mesure des paroles que son chef était en train de prononcer. Il ne comprenait pas pourquoi il se retrouvait en ces lieux s'il éprouvait autant de mépris à son égard. Le sentiment qu'il avait toujours enfoui au plus profond de lui était peu à peu en train de refaire surface. Avec les années, il avait développé un ressenti mitigé et amer. Cette impression d'être complètement admis parmi les hauts dirigeants de la garde tout en étant différent et à part. Finalement, ils avaient tiré de lui tout ce dont ils avaient besoin mais son statut d'étranger récupéré dans un village pillé le discréditait peu importe ses actes. Une sesation de dégoût lui montait au fond de la gorge. Il avala sa salive pour tenter de la faire passer.

      - Je savais que tu comprendrais...

 

      Brat venait de reprendre son monologue immonde qui brûlait de plus en plus les oreilles du jeune homme.

      - Quand je repense au jour où on t'a récupéré ! Et dire que je voulais te tuer !

      - Je me souviendrai toujours de ce jour …

 

      Et pendant qu'un flot incessant de paroles fumeuses continuaient d'emplir le fond sonore du coin où ils étaient installés, Dany se remémora en détail le jour où ses parents ont été tués. C'est comme s'il avait totalement mis ce souvenir de côté pour occulter la douleur et se concentrer sur la survie que lui avait demandée son adaptation à sa nouvelle vie. Il ne suffit que de quelques secondes pour que Dany se remette à haïr du fond de ses entrailles cet homme qui, malgré tout ce qu'il avait fait pour lui, le considérait avec tant de mépris. Prit à nouveau de cette même rage folle d'il y a quelques années en arrière, le jeune eu un flash. En une fraction de seconde, il saisit son épée et l'enfonça dans le torse de cet homme naïf qui avait cru en la fidélité de ce soldat venu d'ailleurs. Il se retourna vers la jeune femme qui assistait sans voix à la scène d'horreur. A la vue du sang, celle-ci se mit à hurler. Dany remarqua que la femme qu'il avait trouvé si belle avait complètement changé de visage. Ses yeux respiraient la terreur qu'elle était en train de vivre. En deux pas, il la tenait fermement, une main plaquée sur la bouche pour la faire taire. Il voulait retrouver la femme magnifique qui l'avait entraîné dans une danse endiablée mais celle-ci était maintenant loin. En un mouvement bref, il la gifla violemment et elle tomba au sol dans un bruit sourd. Le jeune soldat sentit immédiatement que l'ambiance de la fête était en train de se dissiper et qu'une certaine agitation se dirigeait vers lui, vers l'origine du cri strident qui venait d'être émise. Il ne devait pas rester là et fuir sans prendre de temps.

 

 

 

      Cela faisait maintenant plus d’un mois qu’il avait fui la ville qui l’avait forgé. Après une course effrénée pour descendre jusqu’aux remparts, il avait traversé la forêt qui la bordait. Il avait dû au passage abattre d'autres soldats non sans résistance car l'alerte avait déjà été donnée. Heureusement que sa condition physique l’avait aidé à supporter les conditions de survie qu’avait imposée sa fuite non préparée. Il atteignit un village de pécheurs qui lui paraissait la plus adaptée pour fuir par la mer ; la tribu de Quatrium avait toujours eu peur de l'inconnu qu'il pouvait y avoir au-delà. Il se rendit compte alors de l’influence que son ancienne communauté avait dans la région. En effet, les habitants reconnurent son uniforme de soldat et eurent littéralement peur de lui. À sa grandeur faveur, ils lui donnèrent tout ce dont il désirait sans avoir besoin de payer. Ce fut a tel point que Dany ressentit le besoin de se cacher afin que son signalement ne fût pas transmis aux soldats. Il dut encore attendre encore quelques jours pour trouver un navire marchand qui accepta de le faire traverser.

 

 

 

 

***

 

 

 

      Le troisième jeudi d'automne, au petit matin, deux vieux messieurs s’installèrent sur un banc face à la mer.

     - Ta femme aussi, elle va au marché ?

     - Oui, elle y rejoint ma fille.

     - Ça va encore blablater toute la matinée.

 

 Le premier sortit de la poche de sa veste deux pipes. Il en tendit une à son homologue.

     - Tiens, j'ai retrouvé ma vieille pipe. Je te l’ai ramené.

     - Merci, j’irai traîner du côté des déchargements de poissons avant de rentrer chez moi pour masquer l’odeur. Sinon, je vais encore me faire engueuler par ma femme …

 

 Les comparses allumèrent leurs pipes et commencèrent à tirer des bouffées de fumée.

 

 Au même instant, un navire a jeté l’ancre non loin du port. Les barques de déchargement sont lancées à l’eau et les hommes y prennent place pour mettre pied à terre. Quelques minutes et quelques coups de rame plus tard, les hommes montèrent un par un sur le ponton. Le dernier à débarquer était un homme grand et fort musclé. Une cape noire le recouvrait entièrement de la tête aux pieds mais ne masquait en rien sa carrure imposante. Une légère brise ouvrit le tissu sombre laissant apparaître une épée qui intrigua les deux vieux.

 

 Ils se levèrent pour aller à la rencontre de ces hommes. Après un bref échange avec le capitaine du navire, ils s’adressèrent à cet homme qui dénotait tant avec le reste de l’équipage.

     - Et vous, qui êtes-vous ?

     - Je vous retourne la question.

 

  L’homme venait de répondre très rapidement. Il avait à peine bougé la tête masquant ainsi toujours son visage.

     - Nous sommes les adjoints au maire et nous nous devons de vérifier les personnes qui rentrent dans cette ville.

     - Alors, appelez-moi Sombre-Col.